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Les jeux de la poupée (Paul Eluard)

1
Restreinte, puisque tout ce que l’on
peut dire d’elle la borne la limite.
Dans le plus petit espace de la vue
la plus étroite, on cherche en cal-
culant, en ergotant, la place de
son coeur, on évalue la foi en l’enfance.

2
Dans l’armoire aux enfants, il y a des
lumières enchantées, un pistolet char-
gé qui inspire la terreur, une fontaine
transparente, un bassin de pierre
dont le trop-plein s’épand sur un lit
d’opales, un chasseur sans souliers,
une fille sans cheveux, un bateau
sur la mer et le marinier chante, un
cheval damassé, un théâtre ambu-
lant, un grillon, des plumes blanches
tombées du nid des tourterelles, de
petits paniers creusés en coeur et
pleins de crème rose, une guitare
qui fait des étincelles et une robe
qui restera toujours neuve.

3
On ne l’entend jamais parler de son
pays, de ses parents. Elle craint une
réponse du néant, le baiser d’une
bouche muette.
Agile et délivrée, légère mère enfant,
elle jette à bas le manteau des murs
et peint le jour à ses couleurs. Elle
effraye les bêtes et les enfants. Elle
rend les joues plus pâles et l’herbe
plus cruellement verte.

4
Où les oiseaux ne chantent pas, de quoi
ne sommes nous pas sevrés? Où les
blés ne poussent pas, que pouvons-
nous espérer? Ce monde sans amour,
veuf du soleil, que nous est-il?
Il avait fait très froid et l’on avait
très faim. La peur était en nous, dans
la maison, dehors, éteignant tout.
La mort, dernier sursaut de l’imagina-
tion. Un serpent passa sous la maison
qui s’effondra.

5
Gonflant ses joues, gourmande, avalant
une fleur, odorante peau intérieure.
Bouche forcément rose, même au
fronton de la forêt toute noire.

6
La nuit rayonne à sa manière, des
yeux au coeur. La nuit annule le
sensible, le seul espace pur.

8
Certaines injures la déshabillaient,
la rendaient pitoyable-ou désirable.