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Pas de quartier

Au bout de ce film chaos, j’ai fini par me débarrasser du sentiment de pitié que cet homme m’avait imposé. J’éprouvais une immense pitié pour lui, matrice du malaise et de la gêne qui me poursuivent.

Son visage d’adulte apprêté avec ses lunettes, rasé de près, effluve de Brut de Fabergé peut-être. Une peau rosie et bleuie aux endroits où la barbe avait été effacée. Un visage poupon gonflé et souriant.

Cet homme m’offrait des cadeaux. C’était gonflé… Je me disais; « Il est gonflé, il vient à la maison et il m’offre un cadeau. Pas à mes frères, pas à mes parents, pas à nous. À moi ». Un cadeau inutile, intouchable, que je n’arriverais pas à jeter, que je ne réussirais pas à détruire, à balancer à la poubelle, à juste oublier quelque-part où j’oublierai ce geste.

M’offrir des petits présents… J’avais pitié de lui, et de ces petits cadeaux minables. Il m’a offert une bande dessinée de « Tintin et les Picaros » en anglais, provenant d’un bonus de station service ou d’un autre surplus. Je ne lisais pas l’anglais et je n’ai jamais lu cette BD. Elle est restée dans ma chambre, longtemps, sans que je puisse la bazarder. C’est dans les déménagements successifs de mes parents qu’elle a disparu. Mais je ne l’ai jamais jeté. C’est comme si elle était encore rangée sur mon étagère…

J’ai tué la pitié, avec violence et destruction. Pas de bienveillance. Des coups, des cris, des chocs. Ne plus accepter ce cadeau qui m’était fait; la pitié.